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Projet de loi asile et immigration : une pincée d’humanité dans un océan de fermeté

Publié le mercredi 21 février 2018

« Il y a aussi de l’humanité dans le texte de Gérard Collomb ». Comme j’aimerais croire le porte-parole du gouvernement Christophe Castaner quand il prononce ces paroles concernant le projet de loi asile et immigration ! Mais force est de constater qu’à son habitude, le pouvoir exécutif se sert des mots pour tenter d’euphémiser son action, et que ce projet de loi Collomb, c’est avant tout une pincée d’humanité dans un océan de fermeté, pour ne pas dire de fermeture.

Néanmoins personne n’est dupe et le texte, présenté aujourd’hui en Conseil des Ministres, fait l’unanimité contre lui. On retrouve ses détracteurs au sein de la gauche et des associations d’aide aux migrants, des syndicats de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), en la personne du Défenseur des droits, chez plusieurs chercheurs et avocats, mais aussi au sein même de la majorité parlementaire. Sûrement n’ont-ils pas « compris » la « pensée complexe » issue des plus hautes cimes de l’État, une nouvelle fois…

Le constat de départ, énoncé notamment dans le rapport du député LREM Aurélien Taché, n’est pas mauvais : comment, avec une procédure qui dure presque deux ans, permettre aux réfugiés d’apprendre le français et de travailler, afin de s’intégrer ? Certaines mesures du projet de loi vont par ailleurs dans le bon sens, à l’instar de la réunification familiale élargie aux frères et sœurs pour les mineurs réfugiés, qui pouvaient pour l’instant seulement faire venir leurs parents (article 3 du projet de loi).

Ce texte vise, selon ses défenseurs, à « améliorer l’efficacité de la reconduite aux frontières ». Mais selon Libération, la France est déjà le pays qui expulse le plus en Europe, alors qu’elle a la durée de rétention la plus courte. Non seulement ce texte n’apporte pas de réponse à la hauteur des enjeux, mais il fragilisera plus encore les personnes réfugiées. Déjà en grande détresse, ces dernières verront en effet leur situation encore dégradée si la loi venait à être adoptée.

Parmi les mesures problématiques du texte, il y a notamment la réduction du délai de recours devant la CNDA de 30 à 15 jours. Comme le dénoncent les agents de ladite Cour, qui en sont d’ailleurs à leur neuvième jour de grève, nous ne pouvons accepter pareille logique « comptable » et « productiviste » car les demandeurs d’asile méritent une justice de qualité. Comme le dit ce rapporteur à la CNDA, il faut en outre du temps à un demandeur d’asile pour prendre de la distance avec les traumatismes qu’il a vécus et pouvoir en parler de manière claire et cohérente.

Une autre disposition, non contenue dans le projet de loi mais qui pose question, est la mise en place d’un taux de rémunération de 3,5 % pour les banques et assurances spéculant sur l’hébergement d’urgence via un fonds d’investissement dédié. Un article de Bastamag dénonce ainsi le fait que l’accueil des demandeurs d’asile s’ouvre aux marchés financiers avec le nouveau modèle de gestion des centres d’hébergement « Pradha ». Se faire de l’argent sur l’accueil des réfugiés, il y a des symboles qui passent mal. Après la financiarisation du marché du logement, que j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer dans un précédent billet, tout porte à croire que ce gouvernement veut pousser à l’extrême la logique de rentabilité.

En tant que Président de la Seine-Saint-Denis, département qui accueille une large partie de cette population réfugiée, composée notamment de mineurs non accompagnés (MNA), je suis confronté tous les jours à des situations auxquelles je ne peux rester insensible. Surtout, avec le Conseil départemental, qui dispose parmi ses compétences de l’accueil et de la prise en charge des MNA, nous jouissons d’une véritable expertise qui devrait faire de notre collectivité l’un des interlocuteurs privilégiés de l’État en la matière.

Non seulement le gouvernement ne s’appuie par sur les acteurs tels que notre Département qui pourraient l’aider, dans les faits, à améliorer l’accueil des réfugiés notamment mineurs, mais en plus il persiste à ne pas nous donner les moyens de mettre en œuvre ces politiques solidaires, en poursuivant la baisse des dotations aux collectivités.

Pire encore, il s’enferme dans le tout-répressif, qui ne pourra avoir d’issue positive sur le long terme. Car il ne s’agit pas d’un acte isolé, bien au contraire : le projet de loi porté par Gérard Collomb est symptomatique d’une politique migratoire brutale, à l’inverse de l’accueil digne que nous devons à ceux qui viennent chercher refuge chez nous.