Ma réaction à la tribune des juges pour enfants du Tribunal de grande instance de Bobigny
Publié le lundi 5 novembre 2018
Une tribune des juges pour enfants du TGI de Bobigny, co-publiée ce matin par Le Monde et France Inter, dénonce des « délais de prise en charge inacceptables en matière de protection de l’enfance » dans le département de la petite couronne. Elle en impute la responsabilité au « manque flagrant de personnel, lié aux restrictions budgétaires, dans un contexte où la dégradation des conditions du travail éducatif et social en Seine-Saint-Denis ». En tant que président du Département de la Seine-Saint-Denis, chef de file de la politique de protection de l’enfance, j’ai souhaité y réagir.
La tribune des juges pour enfants est l’expression d’une réalité douloureuse et complexe que nul ne saurait nier. Oui, les juges ont raison de pointer du doigt les difficultés qui concernent au premier chef les enfants et leurs familles. Oui, les délais d’application des mesures de justice sont parfois trop longs. Oui, la question des moyens humains et financiers est primordiale, comme l’est tout autant celle d’une meilleure coordination entre tou-te-s les acteurs-rices de la protection de l’enfance. Les attentes sont grandes, notamment à l’égard du Conseil départemental, chef de file des politiques publiques de protection de l’enfance.
Les juges ont en partie raison : il y a un problème pour l’enfance en danger, et ce malgré les moyens importants que le Département consacre à l’aide sociale à l’enfance (ASE).
La vérité, c’est que le budget de l’ASE en Seine-Saint-Denis est le plus gros budget d’Île-de-France (hors Paris) et que nous l’avons encore fortement augmenté ces derniers mois : il passera de 253 millions d’euros en 2018 à 273 millions d’euros en 2019. D’ailleurs, la Cour des Comptes a noté que les dépenses sociales « indirectes » (c’est-à-dire principalement l’ASE) avaient augmenté de 20% en Seine-Saint-Denis d’une année sur l’autre ; c’est de loin un record dans le pays.
La vérité, c’est que la Seine-Saint-Denis assume déjà à la place de l’État une large part de la solidarité nationale. Nous accueillons et prenons en charge les mineur-e-s étranger-e-s non accompagné-e-s (MNA), dont le nombre a triplé depuis 2015. Pour ces jeunes, qui ont droit à une protection, seules 10% de nos dépenses sont compensées. Nous accueillons aussi les enfants de retour de Syrie – pas forcément originaires de la Seine-Saint-Denis – car ils arrivent par l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, lequel relève du tribunal de Bobigny. Pour ce qui représente 2,8 millions de budget, l’État nous compense royalement à hauteur de 250 000 euros.
La vérité, c’est que derrière ces chiffres vertigineux, il y a une réalité très concrète, celle de ces enfants et familles qui sont les victimes directes des contraintes financières toujours plus fortes pesant sur les collectivités. En Seine-Saint-Denis, ce sont 300 millions d’aides sociales que nous finançons à la place de l’Etat. Ceci alors que, dans le même temps, le gouvernement nous impose toujours plus d’économies ! Se défausser sans cesse sur les collectivités alors qu’on ne leur donne pas les moyens d’assumer correctement les missions qu’on leur confie, cela s’appelle faire la politique de l’autruche.
On ne peut pas avoir d’un côté des décisions qui sont prises, sans se préoccuper de l’autre des capacités réelles à les mettre en œuvre. Il s’agit d’une part de donner les moyens à la justice et au Département d’agir, mais également de renforcer le travail partenarial entre tous les acteurs. En Seine-Saint-Denis, nous avons déjà commencé. En lien avec les services de justice, nous sommes notamment en pointe sur la recherche des solutions préventives et alternatives au placement : services d’accueil de jour, accueils de 72 heures pour éviter les placements durables, accueil et écoute des adolescents en difficulté (Etap-ados)…
Mais pour aller plus loin, et continuer d’améliorer ce travail, nous aurons besoin d’un soutien de l’État autrement plus important que des accusations ou des déclarations d’intention sur les antennes radio.
Tous les rapports, toutes les études le pointent inlassablement : en Seine-Saint-Denis, il y a un État défaillant. Sur le sujet de la protection de l’enfance, comme sur tant d’autres, tant qu’il n’y aura pas de volonté massive et durable de rattrapage en Seine-Saint-Denis, croire que les collectivités y feront face seules relève au mieux du leurre, au pire du cynisme.
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