La France est malade des inégalités et des injustices. Face à la crise des gilets jaunes, les réponses ne peuvent être que politiques et sociales
Publié le lundi 3 décembre 2018
Les événements de ces quatre dernières semaines, marqués par une absence de dialogue caractérisée avec le gouvernement, tiennent assurément de la crise politique. Si la grande majorité des gilets jaunes, manifeste pacifiquement, les débordements sont violents et indéniables. L’image de cette Marianne défigurée au cœur de l’Arc de Triomphe, symbole de la République mis à terre, restera dans les esprits.
La crise consécutive au mouvement des gilets jaunes ne se réglera pas par des mesures d’ordre public. Il faut condamner les violences et les dégradations, tout comme certains propos et actes qui n’appartiennent pas à la tradition progressiste du mouvement social et ouvrier. Mais, pour résoudre cette crise majeure, les réponses ne peuvent être que politiques et sociales.
Ne nous y trompons pas : quand le peuple exprime une colère, il faut savoir en trouver les raisons et y apporter des réponses. Le président de la République s’est brûlé les doigts à vouloir jouer avec le feu, à vouloir effacer tous les corps intermédiaires entre le peuple et lui-même. La vision jupitérienne d’un président de la République Roi Soleil, qui déciderait au nom d’un nouveau monde et de la « start up nation », est en vérité très ancienne… Il en résulte une colère qui n’est plus ni canalisée ni accompagnée d’un discours construit, celui des syndicats, des partis politiques, des associations…
Et cette colère est légitime. Quarante années de rouleau compresseur libéral ont individualisé les rapports sociaux, privé l’État des moyens d’agir, précarisé les statuts, mis en concurrence les citoyen.ne.s comme les territoires, abîmé la planète… Ceci en laissant des traces et en pesant sur un nombre toujours plus important de citoyens. Il y a une minorité de plus en plus étroite qui bénéficie du système. Les catégories populaires et moyennes n’en peuvent plus des fins de mois difficiles.
Emmanuel Macron n’était bien sûr pas aux affaires pendant ces quarante dernières années. Mais, élu sur la promesse de bousculer le système, il a entamé son quinquennat en en remettant une couche dans l’indécence. Ses premières décisions et son attitude très souvent arrogante (« ceux qui ne sont rien », « qu’ils viennent me chercher », « les Gaulois réfractaires », « il suffit de traverser la rue pour trouver un emploi ») sont largement responsables de la crise actuelle. Certes, LREM a bénéficié de cette volonté de dégagisme contre une classe politique trop uniforme. Mais dans cette période de remise en cause des inégalités et des injustices, les nouveaux élus macronistes n’ont pas reçu de mandat pour supprimer l’ISF tout en supprimant les emplois aidés, en augmentant la CSG sans compensation pour les retraité.e.s, en baissant les APL, en sous-indexant les allocations familiales, les retraites, le RSA, en réduisant les moyens des communes, en pillant les HLM, en augmentant les taxes sur le gaz…
Dans ce vieux pays qu’est la France qui, au fond, vénère la politique, la passion de l’égalité est intacte. C’est ce que nous enseigne le mouvement des gilets jaunes : lorsque, pour satisfaire une minorité d’ultra-riches, le pouvoir s’isole de manière manifeste et de plus en plus brutale, affiche son mépris des catégories populaires, la colère et l’exaspération grondent. Et quand en plus, avec ce jeune président, sous prétexte de bousculer l’ordre établi, ce sont tous les lieux et outils (syndicats, associations, collectivités, services publics, logement social…) de la République sociale et politique qui sont attaqués, on est proche de la révolte citoyenne.
Par quoi avait commencé Mai 68 ? Une grève des étudiant.e.s qui voulaient pouvoir passer d’un dortoir à l’autre – masculin et féminin. Ils/elles ont par la suite été rejoint.e.s par le mouvement ouvrier, les occupations d’usines, les grèves sur le tas, etc. Ce que nous voulons dire ici, c’est que quels que soient les motifs de départ, une mobilisation peut évoluer et devenir une révolte citoyenne.
Le mouvement des gilets jaunes, qui a ce potentiel, mérite mieux que le silence et le mépris que leur opposent le président et le gouvernement depuis des semaines. Même résolument en opposition à la politique conduite depuis 18 mois, je ne peux me résoudre à voir notre pays plonger, chaque jour davantage, dans la crise. Le président de la République et le gouvernement doivent regarder en face le rejet que leur politique de classe inspire aux Français, et engager immédiatement un dialogue, suivi d’annonces concrètes (sur les taxes, le rétablissement de l’ISF, le pouvoir d’achat et les salaires, en particulier du SMIC), avec les représentants des gilets jaunes, syndicats, partis politiques, associations et ONG.
Ce sont des préalables pour renouer le dialogue rompu avec les citoyen.ne.s de notre pays.
À lire également
-
12 novembre 2024
Cure d’austérité pour les collectivités locales : ma tribune dans l’Humanité
-
29 mai 2024
Massacre à Gaza : la France doit agir
-
26 mai 2024
Réforme de l’assurance-chômage : s’acharner sur les plus fragiles pour protéger les plus fortunés
-
21 mai 2024
Européennes : mon discours au meeting du Pré-Saint-Gervais