Lutte contre les violences faites aux femmes : l’impasse sur la question des moyens, peut mieux faire sur la prévention et l’éducation
Publié le lundi 25 novembre 2019
Ce samedi, des milliers de nuances de violet constellaient le parcours entre les places Opéra et Nation à Paris. Dans la capitale et plusieurs autres villes de France, c’était par dizaines de milliers que l’on comptait les manifestantes et les manifestants : 35 000 selon la police, 100 000 selon les organisatrices, réuni.e.s en un véritable raz-de-marée populaire contre les violences faites aux femmes.
A la manifestation, point de défaitisme face à ce fléau qui fait encore des centaines de milliers de victimes chaque année (213 000 femmes majeures selon le décompte officiel), mais de la colère, de la détermination, et aussi la joie d’être ensemble. Les slogans étaient clairs : « ras le viol », « pas une [femme assassinée] de plus », « un milliard contre les violences faites aux femmes »…
Face à une telle détermination, le gouvernement, qui avait lancé son Grenelle contre les violences faites aux femmes en septembre, ne pouvait rester coi : et de fait, les annonces ne se sont pas faites attendre. Après plusieurs pistes lancées dans la presse, le Premier ministre a prononcé ce matin son discours officiel, avec des annonces apparaissant en demi-teinte aux spécialistes sur le terrain des violences faites aux femmes.
Certes, il y a de bonnes choses, notamment sur le plan des évolutions juridiques, avec par exemple la fin de l’autorité parentale en cas de dépôt de plainte pour violences ou de tentative de féminicide, l’alourdissement des sanctions pour ce qu’on appelle le « suicide forcé » (quand un homme contraint une femme à se donner la mort), ou encore l’inscription dans la loi de la notion d’emprise, au cœur des violences au sein du couple, encore largement ignoré par la justice.
En matière de lutte contre les violences, nous le savons, une action d’ampleur et dès le plus jeune âge est primordiale. C’est pourquoi l’annonce du Premier ministre de former tou.te.s les enseignant.e.s à l’égalité femmes-hommes avant leur entrée en poste apparaissait comme une bonne chose. Cela aurait pu être convaincant si ladite formation n’était pas déjà censée être obligatoire depuis une circulaire datant de 2010 ; une nouvelle fois, avec ce gouvernement on constate que les annonces n’en sont en réalité pas, et que le recyclage de mesures anciennes est plus que jamais à la mode…
Il n’y avait pourtant qu’à regarder ce qui se passe dans les territoires : pourquoi ne pas, par exemple, soutenir un dispositif qui a fait ses preuves en Seine-Saint-Denis, à savoir le dispositif Jeunes contre le sexisme ? Nous plaçons également beaucoup d’espoir dans l’expérimentation du brevet contre le sexisme, à la mise en place duquel travaille actuellement notre Observatoire départemental des violences envers les femmes, en lien avec les services départementaux de l’Education Nationale.
Les travaux dirigés par notre Observatoire concernant la prostitution des mineur.e.s auraient également pu être regardés de plus près par le gouvernement. Au lycée, et même au collège, des comportements pré-prostitutionnels peuvent survenir, qu’il s’agit de prévenir et de détecter, de même qu’il faut savoir accompagner les victimes quand elles sont tombées dans ce piège. Même si, certes, l’objet du Grenelle lancé en septembre dernier portait sur les violences conjugales, il reste indispensable que de prochains travaux gouvernementaux abordent cette question de la prostitution des mineur.e.s, et de manière générales les violences commises dès le plus jeune âge.
Ma deuxième remarque principale portera sur la question des moyens : le Premier ministre a annoncé que l’État mettrait « un milliard d’euros » pour l’égalité femmes-hommes l’an prochain, dont 360 millions seraient consacrés à la lutte contre les violences aux femmes. Mais il y a lieu de douter de la pertinence des chiffres annoncées, et même de penser qu’en réalité le budget alloué n’augmente quasiment pas (voir à ce sujet les analyses de Caroline de Haas, l’une des fondatrices du collectif Nous Toutes).
En réalité, sur le terrain, et nous le voyons notamment en Seine-Saint-Denis, les associations constatent que leurs budgets n’augmentent pas, voire qu’ils baissent, et que les moyens, quand ils sont mis sur la table, ne correspondent absolument pas à l’ampleur des besoins. J’en veux pour preuve les 1000 créations de places d’hébergement d’urgence pour les femmes victimes de violences, dont il a été démontré que le budget annoncé par le gouvernement (5 millions d’euros) était totalement insuffisant.
Les annonces pour lutter contre les violences faites aux femmes, certes, ne sont pas suffisantes. Mais elles ont au moins l’immense mérite de braquer le feu des projecteurs sur les violences faites aux femmes. Contre ce fléau, la lutte continue, et nous poursuivrons notre action, avec notre Observatoire départemental, avec l’ensemble de nos partenaires sur le territoire, pour faire véritablement et durablement changer les choses. Pour que le slogan de la manifestation du 25 novembre 2019, « pas une de plus », devienne enfin réalité.
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