Violences policières et racisme dans la police : sortir du déni et engager un grand chantier national
Publié le mercredi 10 juin 2020
Dans la nuit du lundi 1er juin au mardi 2 juin, Gabriel a été surpris en flagrant délit par une patrouille de police. De ce contact avec les forces de l’ordre, ce jeune Bondynois de 14 ans sortira le visage tuméfié et sera envoyé à l’hôpital après son passage en garde à vue pour sauver son œil, gravement endommagé. La vie quotidienne des quartiers populaires, en Seine-Saint-Denis et ailleurs, est émaillée depuis de nombreuses années par ces drames qui mêlent méfiance, insultes et violences laissant des familles entières sur le carreau et des élu.e.s souvent impuissant.e.s.
La mort de Georges Floyd aux États-Unis a créé un effet de loupe sur la situation française ouvrant la voie à une mobilisation historique et salutaire pour qu’enfin les violences policières et le racisme dans la police soient reconnues, condamnées et combattues fermement. En France, la longue bataille judiciaire et le combat porté par sa famille concernant Adama Traoré revient sur le devant de la scène et devient le symbole de la lutte contre les violences policières.
Même si la comparaison avec les États-Unis comporte bien sûr des limites, disons-le clairement : le service public de la police, parce que c’est un service public et qu’il doit être jugé comme tel, s’abîme par ces trop nombreuses bavures. La violence et le racisme de certain.e.s policier.e.s à l’égard des citoyennes et des citoyens qu’elles et ils sont censé.e.s protéger ne sont pas des faits isolés. C’est donc l’ensemble de ce service public qui s’en trouve abîmé.
Il faut bien entendu, aux côtés des agent.e.s de police, ne tolérer ni les comportements inacceptables (insultes, jets de pierre, attaques,…) que les policier.e.s doivent parfois affronter, ni le manque de moyens dont dispose la police dans les zones les plus difficiles et notamment en Seine-Saint-Denis, comme l’a pointé le rapport parlementaire Cornut-Gentille et Kokuendo sur l’exercice des missions régaliennes en Seine-Saint-Denis. Comment exercer sa mission de manière sereine lorsque certains commissariats tombent en ruine, les véhicules viennent à manquer et que des communes du département comptent moins d’un.e policier.e pour 400 habitant.e.s, et près de deux fois moins d’officier.e.s de police judiciaire que Paris ?
L’héroïsation des policier.e.s par les ministres de l’Intérieur qui se sont succédé.e.s masque mal le dénuement sur le terrain qui altère, à l’évidence, la qualité du service rendu à la population. La Seine-Saint-Denis, quant à elle, attend toujours que les mesures annoncées en grand pompe par Édouard Philippe en octobre dernier soient appliquées.
Mais le manque de moyens ne peut justifier le racisme ou l’usage disproportionné de la force.
Le service public de la police, d’abord, ne traite pas tou.te.s les citoyen.ne.s de la même manière. La « discrimination systémique » pratiquée lors des contrôles de police telle qu’elle a été documentée par le Défenseur des droits est une réalité qu’il faut regarder en face. Là aussi, les faits sont têtus : 80% des jeunes hommes perçus comme noirs, arabes/maghrébins déclarent avoir été contrôlés au moins une fois par les forces de l’ordre, tandis qu’au global 84% des personnes interrogées rapportent ne jamais avoir été contrôlées dans les cinq dernières années.
Aux rapports du Défenseur des droits s’ajoutent le travail de sociologues reconnu.e.s, de journalistes et la bataille judiciaire menée par l’avocat Slim Ben Achour et de ses treize clients qui a obtenu la condamnation de l’État pour faute lourde sur des cas de contrôle au faciès.
Les récentes révélations sur les groupes Facebook de policier.e.s sont édifiantes. Et les propos racistes tenus lors de l’interpellation d’un homme à l’Ile-Saint-Denis il y a quelques semaines sont venus s’ajouter à d’autres faits de racisme dans la police.
Dans une étude commanditée par le Département de la Seine-Saint-Denis, 81% des répondant.e.s indiquent penser que des personnes sont discriminées par la police et la justice sur notre territoire.
Tous ces éléments plaident pour enfin revoir les modalités des contrôles d’identité, dont l’efficacité est sujette à caution tout en minant la confiance de la population vis-à-vis des forces l’ordre, et pour mettre en place un récépissé qui permettrait de limiter ces dérives.
Le service public de la police pratique, ensuite, un usage disproportionné de la force lors de certaines opérations. Ce sentiment, largement partagé dans les quartiers populaires depuis des années, a explosé à la face des Françaises et des Français lors des manifestations des gilets jaunes en étant alimenté par les vidéos diffusées sur les réseaux sociaux.
Les tirs de LBD comme méthode de contact et le plaquage ventral comme mode d’interpellation nuisent à l’intégrité physique et à la dignité des personnes dans des proportions inédites dans l’histoire récente de notre pays.
De deux choses l’une : soit ces violences sont commises par des « brebis galeuses » qu’il faut alors sanctionner avec fermeté, soit le problème est plus profond et c’est notre modèle du maintien de l’ordre qu’il faut remettre en cause. Les sanctions, administratives ou judiciaires, d’agent.e.s de police qui ont commis des bavures étant extrêmement rares, il est évident, et même sain, que les citoyennes et les citoyens en viennent à interroger le service public de la police dans son ensemble.
Sur l’ensemble de ces sujets (racisme dans la police, contrôles discriminatoires, violences policières), la réponse du gouvernement par la voix de son ministre de l’Intérieur est clairement insuffisante. Qui croira qu’il suffit de quelques mots et d’une instruction ministérielle pour remettre la police sur pied, créer de la confiance et améliorer les rapports police/population ?
Le racisme dans la police, les violences policières ne peuvent plus être tolérés. Il faut sortir du déni, ne pas considérer qu’il s’agit de quelques cas individuels mais bien d’une gangrène qui mérite que les plus hautes autorités de l’Etat s’y attaquent avec détermination et conviction.
A rebours des déclarations guerrières et irresponsables qui relèguent les Françaises et les Français dans des camps opposés, il est nécessaire d’ouvrir les yeux et de renouer le dialogue avant qu’il ne soit trop tard. Il en va de l’avenir de notre jeunesse qui ne doit pas grandir dans la peur du « flic ».
La mobilisation inédite des citoyen.ne.s et particulièrement de la jeunesse en France et dans le monde marque un tournant que les pouvoirs publics ne peuvent ignorer. Il y a un enjeu républicain mais aussi pour la démocratie à ce que la confiance soit rétablie entre la police et la jeunesse de ce pays.
Il faut ouvrir un véritable chantier national pour mettre fin aux violences policières et au racisme dans la police, qui parte de l’expérience vécue en associant chercheuses et chercheurs, associations, fonctionnaires de police, élu.e.s de terrain, et citoyen.ne.s, notamment les plus jeunes, pour converger, ensemble, vers des rapports entre la police et la population dignes de notre République et d’une démocratie comme la nôtre.
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