Ségur de la santé : la grande désillusion
Publié le lundi 6 juillet 2020
Le « Ségur de la santé », du nom de la rue où se trouve le Ministère des Solidarités et de la Santé, tourne au fiasco. Les belles promesses, la main sur le cœur, de « refonder l’hôpital public », s’enlisent dans un barguignage insupportable du gouvernement, qui cherche à mégoter sur la hausse des salaires. Faute d’un accord sur ce point, la séance de clôture qui devait se tenir ce vendredi a en effet été repoussée, sans qu’une nouvelle date soit fixée. Le constat est sans appel : cette concertation passe aujourd’hui complètement à côté de son sujet. Non seulement parce que les augmentations de salaires sont insuffisantes, mais aussi parce que la concertation a soigneusement éludé des sujets aussi cruciaux que l’accroissement des effectifs ou la fermeture des lits.
Pourtant, lors de son allocution du 12 mars, le président de la République avait affirmé sans ambages : « la santé n’a pas de prix ». Emmanuel Macron prêchait peut-être avec l’ardeur du nouveau converti. N’oublions pas qu’en avril 2018 au CHU de Rouen, devant des soignantes qui lui dépeignaient la dureté de leur quotidien et dénonçaient les fermetures de lits et le manque de personnel comme responsables du durcissement de leurs conditions de travail, le président leur opposait la sécheresse d’un raisonnement purement comptable avec la fameuse formule « il n’y a pas d’argent magique », qui exprime bien le fond de cette pensée néolibérale voyant dans la moindre dépense publique le mal absolu.
Cette idéologie a semble-t-il pris du plomb dans l’aile. Car entre temps, une crise sanitaire mondiale a frappé notre pays, poussant l’hôpital public à son quasi point de rupture et dévoilant son état d’affaiblissement après des années de cure d’austérité. Si notre système de soins a tenu bon, c’est grâce au dévouement exceptionnel de nos soignant.e.s. Les Françaises et les Français ne s’y sont pas trompé.e.s en les applaudissant chaque soir à leur fenêtre.
Mais ces applaudissements appelaient de toute évidence des actes concrets. Le gouvernement a donc décidé de lancer une nouvelle « grand-messe », énième tentative de répondre au désarroi qui règne au sein de l’hôpital public. Car, rappelons-le, les soignant.e.s sont dans la rue depuis de nombreux mois pour réclamer davantage de moyens et n’ont pour le moment récolté que des mesures chiches, contenues dans une succession de plan d’urgence mal ficelés.
Le « Ségur de la santé » s’est donc ouvert à la fin du mois de mai et pas sous les meilleurs auspices. Les soignant.e.s ont en effet été ulcéré.e.s par la proposition de médaille, ressentie comme une provocation, et exaspéré.e.s par loi sur les « dons de RTT », qui leur mettait à la main une sébile pour demander l’aumône. De nombreuses voix se sont aussi élevées rapidement pour déplorer l’absence du collectif Inter-Urgences, fer de lance de la mobilisation des soignant.e.s. Quant à la forme, beaucoup ont dénoncé un simulacre de concertation, tant les échanges à une trentaine de personnes en visioconférence étaient peu propices à des débats constructifs.
Et après plus de six semaines de discussions, le Ségur de la Santé n’est ni à la hauteur des attentes ni à la hauteur des enjeux.
Tout d’abord parce qu’il a évacué d’emblée un sujet fondamental, au cœur des défis qui se posent aujourd’hui à l’hôpital public : le recrutement de personnels. Ce sujet a été consciencieusement escamoté par le gouvernement, comme s’il s’agissait d’un tabou. Faut-il y voir la censure d’un surmoi néolibéral ? Pourtant, la question des effectifs est cruciale. L’activité hospitalière n’a en effet cessé de croître ces dernières années et les effectifs n’ont pas augmenté en proportion, entraînant une importante dégradation des conditions de travail et de la qualité des soins. Quelques chiffres : fin 2009, les hôpitaux publics employaient 998 000 millions de personnes. Ils en employaient 1, 030 million fin 2017. Les effectifs ont donc augmenté de 3,2%. Mais sur la même période, la production de soins en volume a progressé de 18 % ! On mesure, à travers cette augmentation, l’effort considérable qui est demandé aux soignant.e.s : moins de bras mais plus de soins à délivrer.
L’exhumation par le ministre de la question des 35 heures au début de la concertation n’est qu’un leurre : le problème réside dans le fait que les 40 000 embauches prévues pour accompagner la mise en œuvre de cette réforme à l’hôpital n’ont jamais été réalisées. C’est donc un plan de recrutement massif qu’il faut lancer et qui doit être assorti d’efforts conséquents en matière de formation et d’attractivité.
Mais pour que les carrières soient attractives, encore faut-il lutter contre la paupérisation rampante des soignant.e.s et donc augmenter les rémunérations. Et il y a du chemin à faire : le salaire des infirmier.e.s en France est parmi les plus bas des pays de l’OCDE ! Là encore, le Ségur de la Santé a été trop timide. Certes, le gouvernement a proposé aux paramédicaux (infirmier.e.s, aides-soignant.e.s et technicien.ne.s hospitalier.e.s.) une enveloppe conséquente de 6 milliards, à laquelle il a ajouté dans les derniers jours une rallonge de 400 millions. Mais la répartition de ces 6 milliards entre les hôpitaux, les Ehpad et les établissements privés, qui seront également concernés, soulève de nombreuses interrogations et ne garantit pas la hausse générale d’au moins 300 euros nets qui est nécessaire et réclamée par les syndicats.
Quant aux rémunérations des praticien.ne.s hospitalier.e.s exerçant dans le public, la réponse est très largement insuffisante : l’enveloppe de 400 millions est un saupoudrage de revalorisations, parfois mesquines s’agissant par exemple des internes. Or, c’était un « choc d’attractivité » qui était attendu pour stopper l’hémorragie du public vers le privé. Nous sommes loin du compte.
Par ailleurs, aucune véritable réflexion n’a été menée sur la fermeture des lits, alors même que nous avons constaté pendant la crise combien la gestion à flux tendus dans les hôpitaux nous mettait dans une situation extrêmement périlleuse face un afflux soudain de patient.e.s. Il est urgent de rompre avec cette logique bêtement gestionnaire qui tend à transformer l’hôpital en une nouvelle industrie. Le Ségur de la santé ne marque malheureusement pas de rupture avec cet état d’esprit.
Nous sommes donc mal embarqué.e.s pour redonner à notre système de santé solidaire son efficacité et sa capacité à répondre aux besoins des tou.te.s les Français.es, dans tous les territoires. Si le gouvernement ne revoit pas sa copie, les inégalités territoriales de santé, qui ont cruellement été mises en lumière par l’épidémie, risquent de perdurer, voire de se creuser. Je pense évidemment à la Seine-Saint-Denis qui a payé un lourd tribut à la crise sanitaire et où nous manquons cruellement de médecins. C’est la raison pour laquelle je plaide notamment pour que la prime de fidélisation de 10 000 euros, promis aux fonctionnaires de la Seine-Saint-Denis par le Premier ministre en novembre dernier, concerne également les agent.e.s hospitalier.e.s.
Soyons à la hauteur des efforts consentis par les soignant.e.s pendant la crise. Ne finassons plus, et rendons à notre système de soins les moyens dont il a besoin pour exercer dignement et efficacement sa mission de service public.
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