Réforme de l’assurance-chômage : s’acharner sur les plus fragiles pour protéger les plus fortunés
Publié le dimanche 26 mai 2024
Gabriel Attal a annoncé ce week-end un énième et brutal tour de vis de l’assurance-chômage. Non seulement la durée d’indemnisation sera réduite de 18 à 15 mois, mais il faudra désormais avoir travaillé huit mois durant les vingt derniers mois écoulés pour percevoir le chômage, au lieu de six mois dans les vingt-quatre derniers mois aujourd’hui.
En six ans, c’est la troisième réforme qui vient abaisser le droit à l’indemnisation chômage. Ce n’est pas une politique économique, c’est de l’acharnement contre les plus fragiles de notre pays. Car cette mesure vient s’ajouter à la longue litanie des régressions sociales sous l’ère Macron : ordonnances travail de 2017, recul de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans, durcissement des sanctions et instauration d’une conditionnalité pour les bénéficiaires du RSA … Sans parler d’une autre bombe sociale actuellement dans les cartons : la suppression de l’allocation spécifique de solidarité (l’ASS), qui permet aujourd’hui à des ménages de survivre quand on a épuisé ses droits à l’assurance chômage.
Et le dernier coup porté à l’assurance-chômage sera particulièrement violent. D’après une note interne de l’Unédic, en faisant passer seulement la durée d’affiliation à 7 mois, 11% des allocataires sont déjà pénalisés. Alors, en passant cette durée à 8 mois, le gouvernement condamne plusieurs centaines de milliers de personnes à ne plus toucher l’assurance-chômage ou à entrer plus tardivement dans le régime. Pis, ce sont surtout les jeunes et ceux qui enchaînent les boulots précaires qui seront touchés.
Alors que les deux réformes précédentes ont déjà réduit de 20% en moyenne les allocations et que près de 6 chômeurs sur 10 ne sont pas indemnisés, cette réforme est manifestement la réforme de trop. Même les services du ministère du travail alertent sur le caractère « peu opportun » d’un nouveau durcissement dans une note révélée par Mediapart [1] !
Pourquoi donc un tel acharnement ? Le gouvernement justifie ses attaques en les qualifiant joliment d’« incitations au travail ».Mais la politique du bâton n’a jamais prouvé son efficacité en matière de retour à l’emploi ! Au contraire, en enfonçant les gens dans la précarité et en les forçant à lutter pour leur survie, on les éloigne d’autant plus d’une reprise d’activité. C’est ce qu’ont démontré les travaux sur la pauvreté d’Esther Duflo, prix Nobel d’économie.
Le gouvernement avance aussi que l’inactivité paierait parfois mieux que le travail. C’est un mensonge ! Quittons le café du commerce et les grossiers appels du pied électoralistes pour s’appuyer sur des faits tangibles : une étude de France stratégie – organisme rattaché au Premier ministre ! – a montré que pour les personnes aux minimas sociaux ou au chômage, la reprise d’emploi, même à temps partiel, améliore dans tous les cas le revenu.
C’est un accompagnement individualisé, renforcé et global qu’il faut pour remettre les personnes en inactivité sur le chemin de l’emploi. Car il ne suffit pas de dire à quelqu’un « traverse la rue » quand on doit se bagarrer pour faire garder ses enfants, pour s’occuper d’un proche dépendant, pour payer son essence ou encore pour se faire à nouveau confiance après des années d’isolement. Le Département de la Seine-Saint-Denis, à travers sa nouvelle politique d’insertion lancée après avoir arraché la recentralisation du RSA, s’efforce de mettre en œuvre ces droits réels à l’accompagnement. Mais au niveau national, le Premier ministre a beau clamé « nous renforçons massivement l’accompagnement », nous peinons à en voir le début d’un commencement au regard des moyens humains et financiers consacrés aux politiques d’insertion.
L’objectif de cette réforme du gouvernement est donc à chercher ailleurs que dans le plein emploi ou la volonté de combler les plus de 500 000 postes vacants en France qui, même s’ils étaient miraculeusement occupés demain, laisseraient toujours près de 1,8 millions de personnes au chômage. Le gouvernement avance par ailleurs avec cette réforme un objectif ridiculement faible de créations d’emploi – 90 000 – pour un coût social qui lui sera outrageusement élevé.
Le but premier de cette réforme est simple et clairement énoncé : faire 3,6 milliards d’économies budgétaires. Le gouvernement fait donc un choix pour renflouer les caisses : appauvrir les chômeurs plutôt que de taxer les superprofits ou toucher aux revenus des ultra-riches qui atteignent désormais des niveaux stratosphériques. Rappelons qu’en France, une personne sur trois au chômage vit sous le seuil de pauvreté. Rappelons aussi que la fortune des 4 milliardaires français les plus riches a augmenté de 87% depuis 2020. Rappelons enfin que les cadeaux fiscaux d’Emmanuel Macron aux plus fortunés – suppression de l’impôt sur la fortune et instauration de la flat tax – représentent un manque à gagner pour nos finances publiques de près de 4,5 milliards d’euros.
Mais cette réforme ne vise pas uniquement les chômeurs. Tout d’abord parce que le chômage est l’affaire de tous : une personne sur deux fait l’expérience du chômage au cours de sa carrière[2]. Ensuite parce que dégrader les conditions d’indemnisation du chômage, c’est dégrader plus largement le travail : le salarié à l’embauche ou déjà en poste, davantage sous pression, devra revoir à la baisse ses exigences de salaire ou de conditions de travail.
Le gouvernement, qui n’a qu’à la bouche l’expression de « valeur travail », est en réalité celui qui le maltraite le plus. Non, le travail n’est pas une valeur mais il a une valeur : il doit être choisi, exercé dans des conditions décentes et rémunéré dignement.
Voilà pourquoi il faudra se mobiliser à nouveau pour faire reculer cette énième réforme de l’assurance-chômage aussi inefficace que brutale.
[1] https://www.mediapart.fr/journal/economie-et-social/280324/chomage-il-y-six-mois-l-administration-jugeait-peu-opportun-de-durcir-les-regles
[2] https://blogs.alternatives-economiques.fr/zemmour/2024/04/25/parmi-les-generations-en-activite-plus-d-une-personne-sur-deux-fait-l-experience-du-chomage-au-cours-de-sa-carriere